lettre à cet homme

J'ai rêvé de toi cette nuit. Ou plutôt ce matin. Juste avant mon réveil. Dans ce moment suspendu entre l'imaginaire et le réel. Assez endormie pour te rêver, assez réveillée pour me rappeler de toi. Dans ce moment où ma conscience et ma subconscience cohabitent. Juste avant que ma conscience ne pousse ma subconscience au loin, dans les profondeurs de mon être, et ne me ramène à la réalité. Alors tout doucement, mes yeux s'ouvrent. Tu es encore là avec moi, quelques secondes. Lentement, tendrement, ton image s'estompe. Ta présence reste.

J'ai rêve de toi cette nuit. On se rencontrait pour la première fois. Dans un jardin, quelque part en France. Et c'était comme si tu me connaissais, tu m'attendais, tu me comprenais. Je te connaissais aussi. Nous nous étions déjà rencontrés. Pas dans ces corps, pas dans cette réalité, dans d'autres vies. Nous nous étions déjà rencontrés et nous nous sommes reconnus.

Il y avait peu de mots entre nous. Les mots limitent parfois, les mots figent et entérinent. Certaines choses se sentent mal à l'aise dans les mots, à l'étroit, comme dans un costume trop petit, trop serré, pas élastique. Elles veulent en sortir, ces choses-là, elles veulent sortir de leur mot, les étendre, leur faire voir le monde, leur faire comprendre que les frontières ne sont pas nécessaires. Les frontières ne sont pas nécessaires quand il y a de l'amour. Mais elles n'y arrivent pas. On ne peut pas sortir d'un mot. Le mot devient tout ce qu'on a. Et ces choses, ces si belles choses, finissent par ressembler à leur mot. Elles se limitent, elles se contorsionnent, elles en oublient qu'elles ont été bien plus que ça. Bien plus que quelques lettres mises les unes après les autres, bien plus qu'un son. Petit à petit, elles s'éteignent. Il n'en reste plus que la coquille et l'utile. Les mots sont utiles. Les mots sont efficaces. L'utile est-il le contraire de la profondeur. L'efficacité fait-elle fuir la beauté.

J'ai rêvé de toi cette nuit. Tu étais danseur. Un danseur magnifique. De ces danseurs qui habitent leur mouvement, leur corps et l'espace. Je venais te voir sur scène, tu dansais avec cette danseuse connue, une étoile de l'opéra de Paris. Ce n'était pas de la danse classique, il n'y avait pas de tutu, pas de décor, pas de maquillage, pas d'histoire. Plus un cri, comme une révolution, une revendication d'amour et d'espoir. Il faut avoir souffert pour danser comme ça. Il faut avoir traversé son cœur, été au fin fond de son âme et s'être abandonné à son corps pour dire les maux sans les mots. Pour dire sans parler. Pour dévoiler sans montrer. Il faut être revenu de la souffrance pour ne plus avoir besoin d'imposer sa vérité. Juste être là, proposer, laisser faire, laisser les gens recevoir, ne pas s'en inquiéter. Juste être là, donner tout de toi, tout. Ton essence même. Toute ta profondeur, toute ta beauté. Ne vivre que pour donner ça.

À la fin, n'est-ce pas la seule chose que nous pouvons donner. Donner pour recevoir, ce n'est pas vraiment donner. Donner pour recevoir, c'est prêter, c'est attendre. Et rien ne se crée dans l'attente. L'attente entraîne l'attente. L'attente entraîne la déception. L'attente crée la distance.

Je ne te donne pas des choses étriquées dans des mots, je te donne l'invisible, je te donne l'imperceptible, je te donne ce que tu ne peux pas posséder, ce que tu ne peux pas avoir, ce que tu ne peux pas rendre ou échanger. Je te donne ce qui ne coûte rien et fait ma plus grande richesse. Je te donne mon chemin. Je te donne ma présence, pureté de l'instant, je te donne tout de moi, tout. Mon essence même. Toute ma profondeur, toute ma beauté.

J'ai rêvé de toi cette nuit. Nous rentrions chez nous. Une maison ouverte sur la nature, lumineuse, paisible, tranquille. Très peu d'objets, très peu de choses, très peu de pièces. Juste une grande chambre et un lit près de la fenêtre. Moins une fenêtre, plus une baie vitrée donnant sur la forêt. Comme ces maisons qu'on voit dans les reportages, ces architectes qui construisent des cabanes de verre en pleine montagne. Nous nous retrouvions dans l'intimité de nous, l'intimité de nos corps, de nos âmes. Nous étions ensemble, deux entités séparées par la matière, réunis dans une même lumière.

J'ai rêvé de toi cette nuit. Tout au long de mon rêve, ton visage changeait. Comme si ton corps, ta matière, n'avait que peu d'importance. Ton visage changeait et tu restais le même. Comme si tu vieillissais à mesure que mon rêve passait. Comme si mon rêve m'avait amenée de notre première rencontre à l'apogée de nos vies.

Je crois que si nous sommes ensemble, nous serons heureux. Heureux de tout ce que la vie nous apporte. Et je crois que si nous sommes séparés, nous serons heureux aussi. Bien que mon cœur se serre à la possibilité de ne pas te rencontrer dans cette vie. Tout en sachant que tu es déjà avec moi.

J'ai rêvé de toi cette nuit. Je me demande si tu as rêvé de moi aussi.

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