déposer ses bagages

Fermer les yeux, entrer à l'intérieur de moi, ne pas faire trop de bruit, ne rien déranger, m'asseoir sur le canapé près de la fenêtre, prendre un moment, et tout doucement, me laisser aller. Entendre mon âme sourire et me souhaiter la bienvenue, comme si je revenais d'un long voyage, ça fait du bien de te revoir, elle me dit de déposer mes bagages.

Alors je les dépose, mes bagages. Je prends le temps, j'observe ce qui est là, ce que je vois et ce que je ne vois pas, pas encore, ce qui a envie de sortir, ce qui se sent prêt, je m'en remets à ce qui en moi sait mieux que moi.

Je dépose tout ce que j'ai porté trop longtemps, tout ce que j'ai porté si longtemps que je n'en ressens plus la pesanteur, tout ce qui s'est tissé dans les fibres de mon être, s'est infiltré dans les tissus de mon corps, tout ce qui dort sous la poussière des étagères de mon cœur, tout ce qui n'a jamais eu sa place et qui pourtant, des années durant, a fait partie de qui je suis.

Je dépose tout ce que j’ai porté et qui n’était pas à moi, tout ce qui m’a été transmis sans m’être raconté, qui m’a été imposé sans m’être expliqué, tout ce que j’ai arboré sans savoir, sans comprendre, se cachant dans les ombres et les silences, les non-dits, les regards vides et les gestes manqués, des petites miettes, une à la fois, jusqu’à traîner tout un héritage.

Je dépose tout que j’ai porté pour me protéger, les armures et les épées, les murs que j’ai érigés, tout ce qui a fait si mal et que je n’ai pas voulu revivre, tout ce que j’ai tenté d’éviter, les poings que j’ai serrés, les mâchoires que j’ai verrouillées, tout ce que j’ai tenu de toutes mes forces, jusqu’à m’épuiser.

Je dépose tout ce qui m’empêche et me contraint, tout ce qui me retient, tout ce qui me fait croire que je ne suis pas là où je dois être, pas qui je dois être, qu’il y aurait quelque chose à changer, à améliorer, un peu plus comme ci, un peu moins comme ça, que ce qui est présent à cet instant pourrait ne pas être suffisant.

Je dépose mes ambitions et mes attentes, toutes les images de ce à quoi ma vie devrait ressembler, les rêves que j’ai eu envie de réaliser, les étiquettes que j’ai voulu porter, cette idée qu’il existe une bonne manière, être une bonne petite fille, et qu’il faut s’y conformer, rentrer dans les cases et respecter les calendriers.

Je dépose tout ce que je n’ai pas pu exprimer, tout ce qui n’a pas eu la place d’exister, les maux que je n’ai pas hurlés et les larmes qui n’ont pas coulées, tout ce qui n’a pas pu être vu ni reconnu, tout ce qui continue de flotter à la surface de mon cœur et qui n’a plus d’interlocuteur.

Il y a tout ce que je ne veux pas revivre, et puis il y a tout ce que j’essaie de faire durer, je dépose ça aussi, les belles histoires, les jolies rencontres, les moments qu’on ne veut pas oublier, les au-revoir qu’on n’a pas su dire, les livres qu’on ne veut pas fermer, tout ce qu’on continue d’espérer, tout ce qu’on étire et traîne, comme un doudou tout gris et tout troué.

J’observe cet espace en moi qui vient de se créer, une page blanche, un champ à planter. J’observe tous ces bagages à mes pieds, je les remercie de m’avoir appartenu, je les remercie de m’avoir guidée. J’observe tous ces bagages et je leur demande, pouvez-vous vous transformer, pouvez-vous par une formule magique, par un feu alchimique, devenir cendres, et de cendres devenir graines, des petites graines d’amour et de sagesse, à semer dans mon nouveau jardin.

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